LE
MITSU EN VADROUILLE
Le stage de kobudo en forêt de fontainebleau, vu par un
pratiquant.

« Il était une fois à Fontainebleau
: L’école d’été »
Certains
diront « L’avis d’un figurant », d’autres « L’avis
d’un comédien » je dirais seulement « L’avis
d’un participant »
... Otagai ni rei quand même.
Si
Akira Kurosawa revisitait « Les Randonneurs », cela
pourrait donner cette journée du 29 Juin 2003. Loin de l’époque
Kyôhô et des pluies torrentielles, le décor est
aujourd’hui la forêt de Fontainebleau sous un soleil
radieux.
Les
samouraïs ne sont plus sept mais douze, avec une garde rapprochée
non moins nombreuse. Certes, nos montures sont un peu plus cuirassées
et beaucoup plus puissantes mais il n’y a rien d’illégal à quelques
dizaines de chevaux ... fiscaux. Le plus important est que les armes
restent les mêmes (il n’y a pas que les diamants qui soient éternels).
Le
producteur, Sensei Christian, nous a donné rendez-vous à 9h00
dans une auberge de campagne au bord du Tenryu parisien (la station
Total de la Porte d’Italie). Le scénario est très
précis, il tient en deux lignes :
«
Pour qui est motivé en si bon matin, je vous conduirai au bout
du monde sur la voie de la pratique et de la connaissance. »
Après une heure de route, le départ de notre aventure
martiale est donné par Sensei Christian : « C’est
par là ! ». Les chapitres s’enchaînent à un
rythme soutenu.
Scène
I : La traversée
des fiefs
Tout
samouraï se devant d’être en pleine
forme physique, notre entraînement commence par la traversée
depuis la plaine des blés jusqu’à la terre du
centre. Kimonos (propres) bien pliés dans les sacs à dos,
sacs de ravitaillement sur l’épaule, armes sur l’épaule,
enfants sur les épaules et caméra à l’épaule
(combien ont-ils d’épaules ces samouraïs ?), nous
voici partis pour une marche annoncée d’¼ d’heure. « C’est
par là ! ».
Au premier carrefour, Sensei Christian se souvient de koans anciens.
Il ne serait que trop confortable de nous montrer la voie de la facilité.
Nous quittons donc le GR pour rejoindre le col par la face ouest. Sablonneuse,
abrupte, étroite. Leçon n°1 : savoir trouver des
appuis sûrs.
Après ½ heure, le mont Echigo est à nous. Nous
n’avons rencontré que peu de résistance. Aucun
signe de fatigue. Nos forces sont intactes. Le spectacle du Fuji-Yama
face à nous nous renforce encore. Ses neiges éternelles
nous font oublier les 35°C. Petit tour d’horizon. « C’est
par là ! ».
La descente vers la terre du milieu par la route des pins centenaires
est semée d‘embûches : les porteurs d’armes
longues se fraient difficilement un passage dans cette forêt
aussi dense que Tsukiji un jour de marché, les rochers ralentissent
la progression des porteurs d’eau et le tapis d’aiguilles
pénalise les porteurs de tongues. Il nous faudra ½ heure
pour parcourir ces quelques kilomètres et toucher au but.
Scène II : L’entraînement
matinal.
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Pendant que
Sensei Christian m’entraîne dans la recherche de
la forteresse cachée, le reste de la troupe se pose à l’ombre
et révise ses cours de Chikujo-Jutsu.
Trouvé ! Le grand pin tricentenaire a résisté aux tempêtes
de ces dernières années. Nous nous y installons. Vestiaire des
femmes derrière le second bosquet à droite, vestiaire des hommes à gauche
du pin, la cuisine sous le pin, le dojo juste en face et la salle de jeu pour
les enfants à la lisière du dojo.
La piscine de 50 m n’ayant pas été nettoyée depuis
notre dernière visite, nous ne pourrons malheureusement en profiter. Ceci
dit, nous ne sommes pas là pour ça, n’est-ce pas Christian ?
Nous ne t’avons pas suivi ici pour nous prélasser sur un transat
... je peux garder mes lunettes de soleil quand même ?
11 heures : l’entraînement matinal commence. Salut, les cheveux au
vent, pas un bruit. La sérénité de ce lieu se prête
vraiment bien à cet exercice. Le programme est traditionnel. Il est des
plus agréables de profiter de Sensei Christian en comité restreint.
Gardes, frappes fondamentales, mouvements et sensations. Leçon n°2
: Retourner aux origines et travailler les gestes élémentaires
ne fait jamais de mal. |
Certes,
nous sommes loin des 200 maki uchi de Sugino Sensei (un stage à Criel-sur-Mer
en hiver s’y prêterait plus ... le château de Chantereine
possède un dojo pour qui est intéressé). Nous
terminons toutefois notre échauffement en nage. Les 38°C
y sont peut-être pour quelque chose. Cet après-midi
je mets mon chapeau.
Les acteurs sont chauds, le tournage commence. Sous l’oeil aiguisé de
Sensei Christian, les chorégraphies s’enrichissent d’un
esthétisme cinématographique. Les oiseaux s’arrêtent
de chanter. Observation : les regards s’intensifient, les visages
se figent. L’instant d’après, un nuage de sable
noir se soulève. Les gestes se font rapides, précis et
sûrs. Nos kiais remplissent la vallée. Les enchaînement
se rythment et les coups pleuvent.
Natacha,
aux prises avec Yvan et Romain, donne un souffle nouveau à West
Side Story. Olivia et Olivier règlent leurs comptes et
nous ne savons plus qui est le tigre et qui est le dragon. Enfin,
Catherine me donne une petite leçon (pour ne pas dire
une correction) avec une réelle fureur ... de vaincre.
Les combats sont enragés : les armures se froissent, les
heaumes plient, les lames rougissent. Quelques éclats
de sang teintent le sable, mais nul n’abandonne ...enfin
si : il fait faim ! |
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Scène
III: Cuisine et dépendance.
Après plus de deux heures
d’écoute attentive et
de travail assidu, Sensei Christian nous convie à suivre la
voie de la cuisine de campagne. Le quartier des samuraïs de Kakunodate
a maintenant une colonie en ce lieu.
Au menu : racines de lotus, châtaignes d’eau, raviolis
de crevettes, teka maki, pousses de bambous, brochettes de poulet,
canard à l’ananas, riz cantonais, nougat chinois et gingembre
confit. La prohibition sur le sake faisant rage dans cette partie du
monde libre, nous ne nous désaltérons qu’à l’eau
et au thé froid. Les conflits d’intérêt autour
du sake datent d’un désaccord entre le ministère
de l’économie japonaise et le syndicat des dresseurs d’otaries
: trop d’otaries ivres au sake pendant les représentations
!
Sous la chaleur écrasante l’ambiance reste printanière
: les sourires fleurissent même si les blagues pleuvent. Je me
charge de mes ennemis, mais si vous pouviez surveiller mes amis. Leçon
n°3 : zanshin.
Seul petit regret de cet épisode : l’étude de la
discipline Sieste-Jutsu n’est que de courte durée. Reconnaissons à Sensei
Christian la gentillesse de nous laisser profiter du pin tricentenaire
pendant une demi-heure.
Scène
IV : L’école d’été.
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Il est 3 heures
quand Sensei Christian nous invite à reprendre le travail.
Nous retournons à notre dojo naturel. A cette heure, le
site ressemble plus au Xinjiang qu’à la mer intérieure
de la côte du Sanyo.
Vous ne trouvez pas qu’il fait un peu chaud quand même ? On ne pourrait
pas baisser d’un demi-degré ? Et puis est-il vraiment nécessaire
de savoir nous battre dans de telles conditions ? Les samouraïs sont-ils
allés jusqu’au désert de Gobi ? Je ne sais pas. Je ne sais
plus. Je suis perdu.
J’en étais à ces réflexions quand tout à coup
Sensei Christian me tire avec délicatesse de mes pensées pour nous
montrer le parallèle entre les mouvements de Kobudo et ceux d’Aïkibudo.
Pour les besoins du film, je dois quitter mon chapeau de trappeur. Oui, j’ai
longtemps chassé la gazelle et la biche aux cinq coins du monde (la terre
ne tourne plus très rond vous savez). Au premier mouvement, mes lunettes
volent. De toute façon, les lunettes n’ont jamais fait partie de
l’équipement martial. Et puis j’ai les yeux clairs et le sable
pique un peu, je n’en ai donc pas besoin. Ce n’est pas grave, seul
l’enseignement compte. |
Pendant que Mireille et Florence répètent leur ballet
de haut vol, nous restons à 9 dans le champ de la caméra
: Seuls quelques randonneurs imprudents, et probablement sourds,
s’aventurent à quelques
longueurs de ken de nous. Par crainte de les manquer, nous attrapons
les armes longues. Le soleil, et la peur peut-être, poussent
ces cueilleurs de champignons, en short au coeur de la forêt.
Pas de répit, nous les traquons jusqu’au dernier. Je
n’ai
jamais aimé les cueilleurs de champignons. Tout petit déjà,
j’aimais à les repeindre au paintball. Il paraît
que c’est un tic obsessionnel compulsif. C’est mon psy
qui me l’a dit.
Ce petit interlude tragi-comique passé, Sensei Christian décide
de parfaire notre formation en nous initiant aux techniques de combat
moderne. Mais il est hors de question de tourner une énième
suite de ces films holywoodiens à gros budget : nous n’éviterons
donc pas les balles au ralenti mais des shurikens à vitesse
réelle.

Pour
changer, mes « amis » me dénoncent . Que j’aimerais
pour une fois être le dernier des Mohicans au lieu du premier
des cobayes ! J’endosse donc le rôle du disciple que
Léonard rétâme au nom de la recherche, celui
de Pugsley que Wednesday Friday Addams guillotine de joie.
Heureusement, le soleil commence à décliner. Voulant projeter le
film en avant-première à Deauville le soir même, puis prendre
un bain de minuit sur la plage de Kamakura, nous nous hâtons de remballer
le plateau.
Scène
V : Le retour des guerriers.
Même si nous sommes plus légers des 27 hectolitres d’eau
mystérieusement évaporés, il nous reste encore
les 22 tonnes de matériel à ramener. A 11, cela fait
(environ) 2 tonnes chacun, nos sherpa ayant eux aussi mystérieusement
disparu au soleil (« sherpa fondu, sherpa foutu ! » - grand
adage Tibétain du 1er siècle après « La
coupe » de Khyentse Norbut).
Nous rentrons donc ainsi, par un raccourci que jamais nous ne trouverons
vers la zone crépusculaire. Nous rentrons, à cette heure
où les grands fauves viennent boire, faisant fuir leurs proies
sous nos yeux fatigués mais emplis de shurikens … pardon … d’étoiles … enfin étincellants
des milles feux de Tokyo quoi. Il ne nous faut ainsi que le temps d’éclosion
d’une fleur de lotus dans le jardin d’Okayama pour regagner
nos montures et le rythme effrayant des plaines surpeuplées.
En résumé : Un casting de rêve, de l’action,
de l’aventure, de l’émotion, de l’humour,
le tout orchestré d’une main de maître : ce film
ne peut que faire un carton au box-office.
Et puis, il ne faudra pas attendre 9 semaines ½ pour assister
au festival de Lagord. Mais vous me raconterez, je serai parmi les
vautours au dessus du Mont Yari. Je n’ai pas encore trouvé le
moyen d’allier Kobudo et Pararente. Les combats gagneraient pourtant
en légèreté et seraient très aériens.
A réfléchir …
Un
grand merci en tout cas à Christian pour cette initiative
et pour le temps qu’il nous a consacré. Nous serons encore
nombreux à répondre présent à sa prochaine
invitation.

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« Il était
une fois à Fontainebleau : L’école d’été » (« Once
upon a time in Fontainebleau : The summer school »),
présenté par Christophe, une production © Mitsurukaï 2003
en association avec Chep’TOHO&Co. Avec Christian,
Jean-Luc, Mireille, Florence, Catherine, Natacha, Olivier,
Olivia, Frédéric, Yvan, Romain et Christophe.
Disponible
en VHS et DVD. |
PS : Si certains
critiques très acerbes ont une autre version de l’histoire,
qu’ils n’hésitent pas à proposer leur
récit, car comme il est dit dans « Rashomon », à chacun
sa vérité.